En
réponse à : Etes-vous Kyoto-crédule ?
Alex
Hoffmann août 2005
alex.hoffmann.epfl.ch
file: kyotocredule_rep1.html
Plusieurs échos concernant votre point
de vue sur le changement climatique et les questions environnementales en général
m’ont incité à naviguer sur votre site météo du Lycée Classique de
Diekirch. Ancien élève du LCD,
venant au bout de mes études d’ingénieur en Sciences et Ingénierie de
l’Environnement dans un institut d’assez bonne réputation pour ne pas trop
mettre en doute la validité de son enseignement, me spécialisant dans le
domaine de la gestion de la pollution, de la recherche atmosphérique et
climatologique, je dois avouer avoir été surpris, sinon inquiet, par quelques
unes de vos considérations scientifiques, tout comme politiques.
Certes, le scepticisme et la remise en doute, l’investigation et la
pensée innovatrice, voire révolutionnaire, constituent un des moteurs de la
science et de son développement. Sous
cet angle, il me semble primordial qu’un/E scientifique sache défendre son
opinion, aussi et surtout si elle sort du cadre de l’enseignement de l’école
mainstream.
Le changement climatique, et par-là
j’entends le changement climatique d’origine anthropique et non les
fluctuations naturelles (précession des équinoxes et compagnie), est
aujourd’hui défendu comme théorie par une écrasante majorité de la
communauté scientifique, et par des chercheurs de renommée. Nombreuses observations (!) et non seulement les modèles numériques
(qui gagnent d’ailleurs en fiabilité avec leur développement) témoignent
d’une anomalie qui sort des fluctuations naturelles, non par l’amplitude du
phénomène, sinon par son échelle temporelle extrêmement réduite par rapport
aux échelles biogéophysiques habituelles. Pour ne donner qu’un exemple, les glaciologues au monde
entier font sonner l’alarme à cause de la disparition des masses glaciaires,
contrairement à ce que vous affirmez dans votre article.
Les autres exemples de taille et de tous les domaines environnementaux
sont tout aussi nombreux que convaincants.
Il n’est par contre point mon intention de mener un débat
scientifique sur le fondement d’une théorie aussi complexe que celle
concernant les évolutions climatologiques. Il s’agit d’une théorie et toute théorie peut s’avérer
comme erronée (espérons-le, mais j’en suis très sceptique). Le climat est en tant que life-supporting system à la
base même de tout vie sur terre. Chaque
altération, aussi infime soit-elle, a des impacts énormes sur tous les échelons
de l’organisation de cette vie. La
théorie de l’évolution essaye de démonter l’adaptation des espèces aux
nouvelles conditions environnementales. Ces
conditions, comme vous les mettez très bien en évidence, ne sont absolument
pas constantes et statiques, sinon varient selon une multitude de paramètres.
Jusqu’à l’ère industrielle, ces conditions n’ont jamais subi trop
d’interférences par la main de l’homme.
Ce n’est qu’au deux derniers siècles que l’activité humaine a
acquis une envergure telle qu’elle menace aujourd’hui notre biosphère sur
tous les plans environnementaux. Si
l’on parle de changement climatique, on se réfère à ceux probablement (et
vraisemblablement) corrélés à l’activité humaine.
Le climat mérite donc une attention et une protection particulières qui
vont au-delà de toute ambition économique de l’homme.
C’est avec un grand souci que je lis votre argument de l’optimum
climatique du Moyen-Age, qui me paraît d’une simplicité qui fait preuve
d’absence de toute rigueur scientifique.
Les modifications futures sont présumées (évidemment, il s’agit là
également d’une théorie) non seulement augmenter la température mais aussi
déséquilibrer encore d’avantage les régimes pluviométriques, par exemple.
Suites logiques : surabondance de précipitations sous nos
latitudes, raréfaction dans les régions arides avec toutes les conséquences
sociales, économiques et environnementales qui en découlent.
Nous ne vivons plus dans le Moyen-Age, mais sur une Terre peuplée
d’environ six milliards d’individus (toujours en explosion démographique),
non vraiment tous répartis de sorte à pouvoir profiter d’une agriculture généreuse.
(D’ailleurs, d’après nos sources, il n’y a pas eu, sur de nombreux
millénaires, de variations de températures aussi extrêmes que celles débattues
aujourd’hui).
Pourquoi cet acharnement contre le CO2 ?
Parce que le débat s’est politisé.
Parce que le CO2 est un élément clef spécifique de l’absorption dans
l’IR thermique ET de l’activité humaine.
Parce que l’on ne va pas médiatiser la panoplie d’autres gaz à
effet de serre, (parfois même largement plus efficaces).
L’audience exclusive qu’a reçu ce gaz est surtout le grand public,
la communauté scientifique prend très bien en compte le rôle des autres éléments.
Et je tiens à rappeler que c’est grâce aux campagnes exhaustives et
aux « émotions » du passé au sujet des produits destructeurs de la
couche d’ozone qu’une catastrophe plus ou moins importante a pu être évitée,
(si bien le danger latent subsiste, notamment en forme de CFC dans d’autres
produits que les bombes aérosol et les frigos).
Avec quoi j’aboutis à une considération
politique fondamentale. La
Convention de Rio a déclaré un principe qui s’inscrit aujourd’hui dans
l’écrasante majorité des politiques environnementales des divers organismes
et institutions. Il est question du
principe de la précaution, primordial dans l’ère du développement durable.
Ce principe exige toutes les mesures nécessaires pour éviter une
catastrophe ou un dommage irréversible, si la possibilité de son occurrence
existe, et ceci aussi dans l’absence de preuves.
Il y a donc pas lieu de dire que les « litanistes » sont très
susceptibles aux « mécroyants », plutôt faudrait-il affirmer
qu’il soient susceptibles à ceux qui prennent l’absence de preuves
certaines comme alibi pour cacher leur manque de volonté d’agir face à un
problème existant (réflexion qui a d’ailleurs mené à nombre de désastres
écologiques). Dénoncer comme
« bad science » les fondements scientifiques à la base des
obligations certainement lourdes en conséquences économiques est une méthode
facile de s’en tirer de l’affaire. Et
la Russie n’est pas vraiment un pays qui brille par son engagement écologique.
Les nouveaux processus de décision doivent impérativement tenir compte
de ce principe de précaution dans tous les domaines, et donc aussi dans celui
concernant l’évolution climatique. Le
protocole de Kyoto est ainsi à considérer comme un premier pas dans la bonne
direction, même si effectivement, son efficacité est loin d’être
impressionnante. Se fonder sur la
pensée naïve que l’économie réglera le tout n’est sous aucun prétexte
adapté aux principales questions environnementales et sociales
d’aujourd’hui : l’homme, avec son économie, a dépassé la dynamique
de l’évolution naturelle avec ses équilibres et est capable de modifier de
façon irréversible ces équilibres (pour le meilleur ou pour le pire, plutôt
pour le dernier). Il n’est
absolument pas certain que la demande en produits pétroliers va dépasser son
offre dans les prochaines décennies : les méthodes de prospection et de
captage évoluent comme le reste de la technique et de nouveaux gisements sont
constamment découverts. L’épuisement des stocks est certain, une politique durable
quand-à-elle ne poursuit pas dans une direction de cul-de-sac mais s’oriente
dès le début selon les voies prometteuses.
Une politique de réduction des émissions du CO2 est d’office une
incitation au développement de nouvelles sources d’énergies durables.
Et l’incitation n’est efficace que sous un régime doté de mécanismes
de sanctions et d’augmentation des prix, par exemple par le biais de taxes
environnementales (à moins que la catastrophe soit tellement imminente
qu’elle soit perceptible par tous). Ainsi :
·
« une politique de réduction
intempestive des émissions de CO2 par le Luxembourg aura une influence non
mesurable sur la concentration globale, et donc une efficacité nulle. »
Plutôt, le Luxembourg en tant que
signataire du protocole de Kyoto et membre de l’Union Européenne sera tenu à
respecter ses engagements de la même manière que les autres Etats, le fait
d’être un petit Etat ne le libère pas de ses obligations.
Autant plus que le Luxembourg est le pays au PIB/habitant le plus élevé
(et peut donc poursuivre ces mesures parfois économiquement lourdes, beaucoup
plus que d’autres Etats) et un des pays aux émissions/habitant les plus élevées.
- « une
telle réduction se fera de toute façon dans un avenir moyen par suite de
l’enchérissement des carburants fossiles. »
Ceci n’est pas moins une hypothèse
que celle du changement climatique. L’avenir
moyen est très extensible et une notion très peu définie, en plus il peut très
bien s’avérer trop tard si l’on soumet la protection de l’environnement
au jeu de l’offre et de la demande.
- « il
ne semble pas opportun que le Luxembourg fasse du zèle dans ses engagements
de Kyoto: une politique intelligente serait plutôt une pédagogie positive
incitant les industries et ménages à s’orienter pour autant que possible
vers des sources d’énergie non fossiles, que de leur imposer des pénalisations
par rapport à leurs émissions actuelles. »
Oser regarder la réalité en face
montre immédiatement que des incitations positives n’ont aucun effet
substantiel si elles ne s’accompagnent pas de mécanismes de pénalisation et
de sanctions. Ces mesures de pédagogie
positive sont certes nécessaires et indispensables mais ne permettent que de
cibler les entités déjà engagées d’une manière proactive…
- « nos
hommes politiques ne devraient pas trop se laisser impressionner par des
groupes environnementaux qui, aussi louables que soient leurs intentions,
perdent très souvent le sens des ordres de grandeurs, des réalités et du
faisable. Ils devraient plutôt avoir confiance dans l’intelligence
humaine et dans sa capacité d’adaptation, plutôt que de voir les
citoyens comme des inconscients et insouciants qu’il s’agit de guider
d’une main de fer vers leur bonheur! »
Heureusement qu’existent ces
groupes environnementaux et leur engagement altruiste, sinon la Terre serait déjà
nettement moins viable qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les grands groupes environnementaux sérieux, même si
populistes et médiatiques dans leurs actions, engagent des scientifiques ayant
un sens de la réalité beaucoup plus profond que celui de ceux qui défendent
les politiques réactives et axées profit de quelques institutions. Il ne s’agit point de confier aveuglement dans
l’intelligence humaine et sa capacité d’adaptation, les sombres visions
futuristes sont assez nombreuses dans le cinéma pour ne pas forcément devoir
les poursuivre. Les citoyens (et
les politiciens qui ne sont pas moins citoyens) restent (dans de grandes
proportions) inconscients du problèmes à moins qu’un travail intense de
sensibilisation ait été fait ou que la catastrophe commence à ronger sur
notre quotidien !